Circulaires sur le travail des sans-papiers : quand l’imbécilité le dispute à l’indignité.                                              Alexie Lorca - Un monde d'avance

 « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. » Au lendemain de son annonce de la mise en place d’un « nouveau plan d’action » en direction des entreprises « ayant recours au travail illégal », monsieur Xavier Darcos aurait-il déjà mis en mots son projet ? Non ! La citation ci-dessus n’est pas extraite de son journal intime, mais de l’article L8251-1 du code du travail !

Hormis un aveu d’impuissance à faire respecter la loi — à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté de ne pas la faire respecter ? —, que cachent donc les gesticulations darcosiennes, sur lesquelles le désormais très connu monsieur Besson n’a pas tardé à renchérir ?

Petit récapitulatif…

Le 7 janvier 2008, une circulaire portant sur la régularisation exceptionnelle par le travail, conditionne les demandes à la présentation d’un contrat de travail. Mais il ne peut s’agir que d’un emploi figurant sur une liste de 30 métiers accessibles aux ressortissants extra communautaires et « adaptable en fonction des régions ». Or, ces emplois sont des emplois qualifiés — employé d’assurance, géomètre, chef de chantier du BTP, dessinateur en « électricité, informaticien expert — qui ne correspondent évidemment pas à ceux occupés par la quasi totalité des travailleurs sans-papiers, pas plus qu’ils ne répondent pas aux besoins économiques de l’Hexagone. Cette circulaire instaure une discrimination entre les travailleurs extra-communautaires et les ressortissants des nouveaux États-membres de l’Union européenne auxquels une autre directive a proposé fin 2007, une liste de 150 métiers. Elle stigmatise en outre les Algériens et les Tunisiens, exclus du dispositif, en vertu d’accords bilatéraux, jugés trop favorables aux demandeurs. On peut dès lors leur opposer la situation de l’emploi — « ici, il y a assez de travailleurs français ; on n’a pas besoin de vous » — tout en leur interdisant l’accès à la liste des 30 métiers.

Le concept d’immigration choisie atteint là son paroxysme. Au pays des droits de l’homme, on associe une profession à une nationalité. Selon que vous serez bulgare, roumain ou malien, vous serez conducteur de travaux du BTP en Champagne, technicien des industries du bois en Lorraine, ou mécanicien d’engins de chantier en Corse…

La circulaire allie l’indignité — les travailleurs sans-papiers qui se présentent avec un contrat de travail sans avoir vérifié si leur emploi figure sur la liste, peuvent se voir reconduits à la frontière — à une imbécillité crasse. C’est en effet l’autorité administrative et non plus l’employeur, qui définit les besoins en main d’œuvre et statue sur les compétences de l’employé potentiel…

Le 15 avril 2008 débute alors une première grève des travailleurs sans-papiers.

« À l’issue de ce premier mouvement, ce sont les salariés eux-mêmes qui exigent et obtiennent des régularisations en dépit de la liste des 30 métiers, témoigne Richard Delumbée, responsable de l’Union Locale CGT de Montreuil (93). Nous avons donc mis en œuvre l’acte II de cette mobilisation. En 2008 seules la CGT et l’association Droits devant étaient partie prenante de cette lutte. Aujourd’hui 5 organisations syndicales et 6 associations soutiennent ce combat. Après quatre rencontres avec nous, Eric Besson a élaboré un document de synthèse peu satisfaisant, en précisant qu’il ne pouvait aller plus loin, que toute autre proposition ne pouvait émaner que du ministère du travail. Ce qui nous arrange ! »

Car les arguments de Darcos sont aisément réfutables. Tout d’abord, il confond volontairement le problème des salariés sans-papiers et le « travail au noir ». En stigmatisant celui-ci, le ministre remet au goût du jour la vieille scie de l’immigré qui, en ne cotisant pas, vient manger le pain des Français. Il appuie son propos en estimant le manque à gagner à 60 milliards d’euros, « l’équivalent du budget de l’Éducation nationale. »

Or, comme le précise Richard Delumbée, « si le travail au noir est une dimension existante du problème, elle est très minoritaire. Moins de 5% des travailleurs sans-papiers le pratiquent. »

Il faut aller chercher les 95% restants, soit dans le travail au noir des Français, soit dans l’invraisemblable nombre d’heures travaillées des sans-papiers, qui ne sont ni payées ni donc déclarées par des patrons voyous.

Besson et Darcos sont-ils définitivement pervers ou totalement incompétents ?

Les deux, sans aucun doute…

À preuve, le grand argument des « métiers à tension ».

« Un métier est déclaré “ à tension ”, lorsqu’il manque de personnel, explique M. Delumbée. Le gouvernement a décidé d’établir des statistiques trimestrielles des métiers “ à tension ” afin de définir dans quels secteurs on peut régulariser des sans-papiers. C’est totalement impossible dans la mesure où les sans-papiers travaillent déjà dans ces secteurs, qui donc ne sont plus “ à tension ” ! Il y a une confusion totale entre travailleurs sans-papiers et nouvelle immigration. Notre combat ne porte pas sur les nouveaux entrants mais sur ceux qui travaillent déjà, dans des conditions de semi-esclavagisme. »

Le responsable syndical pointe du doigt une autre « perversimbécillité » ou « perversincompétence ». Elle concerne les travailleurs intérimaires. Sur les 5 400 salariés sans-papiers actuellement en grève, 2 000 sont intérimaires et franciliens. Un chiffre en constante augmentation, puisque la CGT enregistre chaque jour pour sa seule organisation, 200 nouveaux grévistes. Or, le texte ministériel en préparation impose comme critère de régularisation, une mission d’au moins un an. « La moyenne des missions déposées au Pôle Emploi est de 7 jours ! s’exclame M. Delumbée. Et 25% de ces missions ne dépassent pas une journée. Ce critère remet en cause la nature même de l’Interim ! »

Que demandent donc les grévistes sans-papiers ? D’abord la suppression de la discrimination entre les nationalités et l’ouverture pour tous à la liste des 150 métiers. Et puis l’abaissement de 5 à 3, du nombre d’années de présence en France pour accéder à la régularisation. Pour les intérimaires, il s’agit évidemment de prendre en compte les heures des missions cumulées et non le nombre des missions. Il faut aussi que les sans-papiers travaillant au noir soient reconnus de la même façon que les salariés et régularisés sur les mêmes bases. Et puis, les métiers occupés par les travailleurs sans-papiers doivent être considérés comme “ à tension ”. Le gouvernement doit aussi cesser l’amalgame pervers entre travail non-déclaré et salariés sans-papiers. Répétons-le : ceux-ci cotisent et paient des impôts, en même temps qu’ils pallient le manque de candidats dans nombre de métiers. Ils participent ce-faisant au développement et à la richesse de notre pays.

Enfin, pour ce qui concerne le travail caché, il existe déjà un dispositif administratif et judiciaire qu’il suffirait d’utiliser.

Alors, que cachent les tonitruantes menaces de Darcos et Besson ? Et surtout à qui s’adressent-elles ? À Bouygues, Veolia, Manpower ? Qui peut le croire ? Elles s’adressent aux petits patrons qui emploient déjà des sans-papiers et qui auraient la velléité de les aider à se faire régulariser en signant un document essentiel, la demande d’autorisation de travail » — communément appelés le Cerfa. L’objectif est de les inciter en leur faisant peur, à demeurer ou à devenir des patrons-voyous, ce qui arrange le gouvernement. Au détriment de l’intérêt général, certes, mais ledit gouvernement n’en est plus à ça près.

L’objectif est aussi de créer un climat de défiance entre les salariés français et les sans-papiers, les premiers — et cela s’est déjà produit — accusant les seconds d’être susceptibles, de faire fermer l’entreprise et donc de leur faire perdre leur emploi. Enfin, si les menaces de fermeture administrative se concrétisaient, ce serait l’occasion de mettre hors de cause les donneurs d’ordre, les employeurs étant très majoritairement des sociétés de sous-traitance. C’est en effet par le biais de ces sociétés que Bouygues par exemple, fait travailler sur ses chantiers d’innombrables sans-papiers.



Face à ces états de fait, Éric Besson a signé le 24 novembre dernier une nouvelle circulaire. Les grévistes demandaient des mesures d’harmonisation claires. Qu’à cela ne tienne ! Le texte prône le cas par cas laissant aux préfets le soin de trancher. Il leur est par exemple demandé de juger des « capacités d’intégration » des demandeurs de papiers. S’ils sont honnêtes, ce critère ne devrait pas leur poser problème.

En effet, la capacité des travailleurs sans-papiers de se mobiliser, de se mettre en grève, de se battre pour leurs droits et pour une vie digne n’est-elle pas le plus beau signe d’intégration qu’ils peuvent donner à une République qui célèbre la liberté, l’égalité et la fraternité ?

 

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