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Marianne le 30 mars 2013

Il y a quelque chose de flétri au royaume d'Amazon. L'an dernier encore, le géant de la vente en ligne flambait avec sa liseuse Kindle au Salon du livre, à Paris. Cette année, il préfère renoncer à y occuper le moindre mètre carré, tel le dieu caché de Pascal autour de qui tout se polarise mais qui ne saurait apparaître. Alors que la résistance à ses pratiques capitalistiques agressives s'organise depuis peu à travers l'Europe entière, c'est peu de dire en effet que la firme a désormais un «petit problème d'image».

Dernier symbole en date : l'entrée en lice des auteurs dans le combat anti-Amazon, le 15 mars dernier. Journaliste d'investigation très célèbre en Allemagne, Günter Wallraff, l'auteur de Tête de Turc (1985), a ainsi déclaré renoncer à voir ses livres vendus en ligne dans un entretien pionnier accordé au magazine Buchreport. En cause, un reportage de la chaîne de télévision ARD révélant les méthodes de surveillance d'Amazon à l'égard de ses saisonniers allemands, et son recours à une société de vigiles au crâne rasé, Hess Security, dont le nom a aussitôt résonné outre-Rhin comme un délicat hommage à Rudolf Hess, le factotum de Hitler.

Ajouté à la fâcheuse tendance de la firme américaine à contourner le fisc des pays qu'elle investit, cet incident n'est évidemment pas la seule cause de l'appel de Wallraff à boycotter ses étals numériques. En invitant chacun à se rendre dans les librairies physiques, c'est une action urgente que celui-là réclame afin d'éviter que nos centre-villes ne se transforment en véritables déserts culturels soumis à la loi monopolistique de ce genre de pieuvres. Là où passe Amazon, dont le patron, Jeff Bezos, s'est juré d'éliminer les intermédiaires entre l'écrivain et le lecteur, il est désormais clair en effet que l'écosystème précaire du livre ne repoussera pas.

Hélas, le discours à la fois totalitaire et démagogique de tous les Bezos de la Terre pourra toujours compter sur une certaine crétinerie progressiste comme ultime alliée. Ces «esprits forts» qui vous expliquent que les adversaires d'Amazon, comme les adeptes de la marine à voiles en leur temps, seront fort heureusement balayés par l'histoire. Ces gens inaptes à comprendre qu'un apparent progrès se paye souvent d'une régression et qui considèrent, tels le Pangloss de Candide, que tout avance toujours vers le mieux et, surtout, que les choses ne peuvent jamais aller autrement qu'elles vont.

A ces amis du pire, le logo de l'association Paris librairies, qui regroupe 60 libraires indépendants unis dans une lutte concrète contre l'actuel géant de la vente en ligne, adresse aujourd'hui un défi plein de panache. Il s'agit d'un simple dessin. Sur la gauche, on y aperçoit une frise de l'évolution inversée. Un homme en train de régresser vers le singe. Sur la droite, un autre personnage lui tourne résolument le dos, un livre à la main. Un simple dessin, disait-on. Une trouvaille géniale, destinée à être placardée sur les murs de la capitale autant que disséminée sur les réseaux sociaux. Il n'est pas interdit d'y voir un précipité visuel de toutes les luttes du futur.

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