23 suicides en 18 mois, dans l’entreprise à moitié privatisée, France Telecom, à l’heure où j’écris ces lignes (et je me dépêche, pour ne pas  avoir à changer le nombre). Un parallèle peut-il être fait avec le saccage d’une préfecture par les « Conti » ou, plus récemment celui du palais Brognard, ex-antre de la Bourse de Paris, aujourd’hui dématérialisée ?

Quel rapport, me direz-vous ? Aucun, si on ne prend en compte, que le rapport cause à effet. Mais un lien très fort, si on veut, aujourd’hui, comprendre le monde du travail.

L’exemple FT est symbolique si on le rapproche de celui des « Conti. » On a, d’un côté, un patron qui a sur la conscience 23 morts, suite à des « erreurs » de management et qui, invité pour s’expliquer devant la presse, regrette la « mode » des suicides dans son entreprise. De l’autre, une poignée de salariés excédés par des mesures de licenciements boursiers et qui renversent quelques ordinateurs, dans une préfecture. Le patron de FT est toujours en poste, certains « Conti » ont frôlé la case prison.

Symboliquement, voilà, en France, l’état  de nos rapports sociaux d’entreprise : un climat de guerre, version 14/18, où les chefs militaires pouvaient, en toute impunité, envoyer des bataillons entiers de fantassins se faire tirer comme des lapins, jusqu’au moment où, des mutineries éclatèrent et que ces mêmes fantassins furent fusillés pour désertion ou insoumission.

Ce constat fait, on peut voir rouge, lorsque Christophe Barbier, dans l’Express ou France 2 expliquent la raison de ces suicides au travail : un défaut d’adaptation des ex-fonctionnaires aux règles  du marché. Eh oui ! Nos suicidés seraient des inadaptés sociaux, incapables de comprendre que, de leur travail, dépend la rémunération d’actionnaires toujours plus voraces et que leur chef peuvent les dégrader ou les muter à n’importe quel poste, pour le bien de l’entreprise. Hier, les colonels se servaient des fantassins comme remparts pour tenir leurs positions stratégiques, aujourd’hui, les managers ont remplacé les militaires, mais les fantassins sont toujours sacrifiés sur l’autel de la position stratégique, appelée rentabilité sur le champ de bataille économique.

Qu’il ne leur vienne pas à l’idée de se rebeller comme les « Conti », les « Mollex » ou les New-Fabris, car l’Etat Major veille et notre chef Nicolas, relayé par son pit-bull Frédéric Lefèvre l’a dit, il ne tolérera pas les dégradations ou les actes violents de la part des ouvriers. Or  jusque là ces ouvriers n’ont tué personne ; on ne peut pas en dire autant des dirigeants de Renault, Peugeot ou France Télécom.

L’Etat complice consentant ou otage des groupes économiques et lobbys, persuadés que la reprise économique est le Graal qui justifie tout les renoncements sociaux.

Quand on sait que les prévisions sont plus que sombres, concernant le chômage et l’activité économique en Europe pour 2010 et qu’on prévoit des taux de chômage de l’ordre de 10 à 11% en France à la fin de l’année prochaine (19.8% en Espagne !!) on peut s’attendre à ce que, comme en 1917, les mutineries se durcissent et s’étendent, pas seulement en France.

Pour avoir soutenu le patronat et avoir consenti et souvent accompagné les sacrifices sociaux au profit des actionnaires, les états et spécifiquement la France depuis 2002 risquent de voir se déclencher une crise sociale aigüe dont les conséquences restent aujourd’hui imprévisibles.

Il ne s’agit pas de faire du pessimisme par idéologie et espérer avoir raison- j’espère que l’avenir me donnera tort- mais il s’agit de mettre en exergue la vassalité de l’Etat vis-à-vis du monde économique, ce qui est condamné par tous les experts qui ne sont pas tous, loin s’en faut d’affreux collectivistes.

 Tout le monde reconnaît que la France se sort bien, en tous cas mieux que ses voisins, de cette crise grâce aux amortisseurs sociaux mis en place depuis des décennies et que les effets sociaux en sont atténués grâce à deux caractéristiques de notre économie

1-     le taux d’épargne élevé des ménages et leur faible endettement

2-     l’existence d’une redistribution et d’une répartition plus forte qu’ailleurs en Europe

Il ne faudrait pas que nos dirigeants actuels oublient cela. Nicolas était un fervent admirateur de Bush et du système économique anglo-saxon. Il prônait, il y a peu, le recours aux crédits hypothécaires et à l’endettement privé en même temps qu’il théorisait son « travailler plus pour gagner plus ». Aujourd’hui, l’analyse de la crise, qui n’en est qu’à ses débuts, lui donne tort sur tous les points, il faudra plus que des discours et des opérations de communication pour réussir à sortir du système vicié actuel… Mais souhaite t-il en sortir ? Rien ne semble moins sûr !

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